Initialement prévu pour Introduction à la connaissance esthétique, tome V.
Catalogue de l'exposition personnelle à la galerie L'Atelier à Rabat, du 10 Avril au 6 Mai 1975 ; Calligraphies. Hommage à Nja Mahdaoui, Horizons Maghrébins & Cahier d'Études Maghrébines (Toulouse & Cologne, 1998), pp. 166-67.

Que ce soit dans les grandes continuités historiques devenant ou devenues "classiques", ou dans l'aventure actuelle d'une ère "autre" dans ses débuts après la "Tabula Rasa" Dada, il y a art et donc esthétique quand il y a constat d'existence d'une série d' "œuvres d'art" essentiellement dignes de ce nom, constat dont le fait d'être engage une création d'artiste et dégage une communication esthétique avec un non moins authentique amateur, tous deux totalement qualifiés en tant que tels. Le fait de vivre un lendemain de rupture avec tous possibles académismes sclérosés les oblige à un total reconditionnement à une autre puissance de leurs réflexes psycho-sensoriels, à partir de la théorie des ensembles de Cantor, la philosophie de Nietzsche, la logique de Russel et les manifestes Dada de Tristan Tzara : en esthétique il nous est donné de vivre les premiers moments d'un changements de puissance d'un type esthétique "autre" à découvrir et à définir à travers les œuvres incontestables d'un art que j'ai appelé "autre" provisoirement : Celles de Mahdaoui y participent aussi authentiquement qu'heureusement.
Parmi les voies fécondes en art qui se dessinent dans les possibles de l'indéfinie multivalence à explorer et dégager, Mahdaoui en connaît, en tant qu'artiste, et dans son heureuse évolution, particulièrement deux, aujourd'hui fécondes pour un certain nombre de créateurs du monde entier : je veux dire d'abord le lyrisme des structures d'expansion, puis la libre rigueur des espaces de signes en tant qu'ensembles artistiquement qualifiés, et, dans ses œuvres très récentes, l'heureuse intersection de ces deux voies.
Ses œuvres picturales d' "expansions" voisinent esthétiquement avec celles de l'Américain Jenkins, du Japonais Motonaga, du Yougoslave Kulmer, de l'Iranienne M. Seyhoun, pour ne citer que quelques exemples typiques de centres particulièrement actifs de l'art de maintenant.
Puis il y a cette passionnante séquence d'œuvres que je n'ai pas peur de qualifier de "calligraphiques" : et je signale à leur propos que les pays qui ont eu une tradition (quelquefois très longue) d'art calligraphique sont les seuls qui peuvent enchaîner normalement et sans rupture avec les plus actuels ensembles de signes en tant qu'espaces abstraits artistiquement signifiés, du Japon à la Méditerranée coranique en passant par la Chine et le Moyen-Orient... Les "Espaces Abstraits" en tant qu'ensembles de signes artistiquement structurés de l'avant-garde européenne et américaine sont dans le même "type" esthétique.* Dans ce sens l'œuvre graphique récente de Mahdaoui est dans un constructif voisinage avec celle des Japonais Insho, Suzuki, Onishi, des Iraniens Tabrizi, Barirani, Zenderoudi et Pilaram, du Turc Nejad, des Américains depuis Tobey et Pollock, comme des Européens Capogrossi, Mathieu, De Cambiaire et un certain nombre d'autres hautement qualitatifs.
Enfin dans quelques œuvres très récentes, Mahdaoui a heureusement réussi la synthèse des espaces d'expansion et des ensembles de signes, et dans ce sens il a devant lui un avenir esthético-artistique indéfiniment développable : je lui fais totalement confiance et le remercie pour l'enchantement qu'il m'a donné et continuera à créer.
Michel Tapié
Paris, Juin 1974