1983 - Le livre de l'Alif

Ezzedine Madani

Traduit de l'arabe par Hamadi Dlimi.

Calligraphies. Hommage à Nja Mahdaoui, Horizons Maghrébins & Cahier d'Études Maghrébines (Toulouse & Cologne, 1998), pp. 152-158. 


 

 

 Alif, Ba, Jim. Cet arbre conçois-le en lumière, perçois ses racines dans le creuset de la terre, sa substance dans le firmament.

     Prends garde, ne te leurre pas, le monde n'est pas à l'envers.

     Je t'invoque à voir ce qui ne se perçoit pas.

     Je t'invoque à écouter ce qui ne se distingue pas.

     Je t'invoque à lire ce qui ne se déchiffre pas :

     Tel est l'Arbre mirifique, tu ne l'as oublié ni dans ta vie consciente, ni dans ton subconscient.

     N'as-tu pas été tendre envers sa Majesté, envers ses tréfonds, dans l'éclair de tes rêves ainsi que dans la transparence de ton Umwelt.

     Ton regard hagard impénétrable.

     Ton souffle haletant.

     Ton âme désire l'équilibre.

     Et tout en toi est désarroi. Et tu interroges avec insistance :

     Qu'est-ce qui ne se perçoit pas ?

     Qu'est-ce qui est inaudible ? Qu'est-ce qui est illisible ?

     Cet Arbre tout de lumière, appesanti par des fruits divers, péné­tré de partout par une sève torrentueuse el luxuriante, épanoui tout en fleur enivrante et couronnée de la boucle de l'éternité.

     La poésie n'y a rien compris : aucun mugîssement de tonnerre ne le fait plier, aucune tempête ne le perturbe. C'est l'Arbre originel. Il a de tout temps existé. Il est la plénitude de l'action. Il est une expression. Il est un point. II est un atome. Il est un mot. Il est une lettre. Il est a-temporel. Il est un espace unique.

     Comment puis-je faire face à la question ? Alors que tout méta-langage est impossible, sinon il ne peut être creux.

     Toute description se disloque et se dissout ou se mue en obstacle. La dénomination se perd et s'anéantit ou devient une déshar­monie.

     La représentation ne remplace jamais l'original.

     Cet Arbre est tout l'alphabet. il associe en lui tous les noms. Il est fusion de toute signification. C'est un texte suprême transcendant tout pouvoir. Les lettres sont transparentes ainsi que les dénominations tout comme les significations, tout comme le texte aussi. Le texte est par-delà le licite et l'illicite. Il est tout de pureté pleine et immaculée.

     Te voilà submergé par la lettre, la dénomination, la signification.

     Le texte est tout de présence et de témoignage.

     Il s'élève avec défi. Il bouillonne dans les âmes.

     Il fermente dans les esprits. Il vibre dans le cœur.

     Il est au-delà de la parole châtiée, ainsi que de la parole bâtarde.

     Il a neutralisé tout l'être aussi bien les hommes que les choses. La lettre est recueillement. La dénomination est absence de parole. La signification est béatitude.

     Et le texte... qu'en est-il du texte ?

     Le texte est mysticisme apocalyptique vers l'équilibre cosmique : là gît l'espace mystique, la communauté, le dévoilement, la disponibilité, les sites rituels, l'inconscient, la déraison, l'iniquité, les émois tentionnels, la fidélité, la justice, l'identité, l'unité de l'être.

     Je vous convie à venir fêter avec moi les coloris, les formes. les volumes, les dimensions.

     Cette fëte est tout à vous. C'est ainsi que les Dieux ont façonné les Totems.

     Accourez tous, hommes de tous les temps et recueillez-vous en rangées bien définies.

     Présentez votre parole éternelle.

     Lancez l'encens par poignées sur poignées sur les âtres de la lettre.

     Puis redressez-vous vers les cieux et psalmodiez les évangiles du verbe.

     Prends ta palette et ton pinceau

     Prends ta plume et ton encrier

     Prends ta règle et ton équerre

     Prends ton pinceau et tes couleurs

     Prends ton télescope et ton microscope.

     Une fois prêts, adonnez-vous à la musique, à la danse, au sacrifice du sang, à la boisson, à la transgression.

     Celui qui ne joue pas et ne danse pas et qui n'immole pas, qui ne boit pas, qui ne transgresse pas, celui-là n'a point de fête.

     A moi l'argile et le plomb

     A moi la cendre, la laine et la gomme arabique

     A moi la chaux et le sable

     A moi le roseau et le bois

     A moi le marbre

     A moi le ciment, le fer, le plomb, l'acier et le verre

     A moi l'or et l'argent

     A moi le coton, le tissu, la soie et l'alfa

     A moi le naphte et ses dérivés

     A moi le henné
     A moi le cuir

     A moi le zinc

     A moi l'ivoire

     A moi le mercure

     A moi l'huile

     A moi l'eau  

     A moi l'air  

     A moi le feu

     A moi La terre

     A moi

 

     Je désire toutes les mines du ciel et de la terre.

     Je désire la matière toute entière pour qu'en naisse une seule lettre.

     Nous répétons que tout cercle est sacré, que toute source est naturelle et que tout carré est humain. Nous avons sculpté, nous avons peint, nous avons conçu les lignes.

     Nous avons creusé. Nous avons décortiqué pour colmater les brèches.

     En toutes les lettres que nous avons conçues fusionnent le sacré, le naturel et l'humain : car nous avons puisé la matière en nous. Nous y sommes plongés, et elle nous traverse.

     Le sacré et le naturel fusionnent. Ils font Un ; c'est une même nature, un mëme être, un même devenir. Nous avons dit de tout temps qu'il n'y a point de distorsion entre l'archétype et la réalité.

     En cet instant où tout en nous fusionne, blanchis les villes de chaux, recouvre les déserts d'indigo, recouvre les mers de coraux, ainsi que les cieux de cendres ; parsemons la terre d'hya­cinthes, d'émeraudes, de diamants, de perles, de rubis, de marjolaine, de squelettes de chameaux et de chevaux, de mauvaises exhalaisons, de cuir, de temples, de coupoles, de minarets et d'éternité; enduisons les toiles d'encre de Chine, de safran, de gommes arabiques, d'or, pour que de tout cela jaillisse une seule lettre: AL HAMZA.

     Recueille-toi deux fois. Chante les louanges de ton Seigneur et parles-en longuement ; puis prends place. prends tes pinceaux, et ton encrier et dis: au nom de Dieu,

     Tends ta main droite, elle sera tout vers toi, car elle est divine et tu es divin tout en étant présent à la lettre. En réalité tu es la ligne et tu es la lettre. Sois d'une certitude que rien ne peut entacher ; tu es de la sève de ceux qui ont brodé la tombe d'IMRl'EL KAIS, après avoir élevé Bahrane, Zabad et Om El Jamel, et y avoir laissé des œuvres toujours présentes, et être imbibé de AL ANTAR et de la Mecque.

     Tu t'apparentes à ceux qui ont inscrit le Coran sur les os des chameaux, et les roseaux du Nil, pour les porter par la suite sur les parchemins.

     Tu t'apparentes à des calligraphes tel que Ali Ibn Abi Mokla El Wasir, Abi Al Hassen Ibn Hilal Ibn Bawab, Abi Hayanne Attawhidi, Yahia Ibn Mahmoud Ibn Yahia El Wassiti, Yakout El Mous­taasimi et Mahmoud Nissaboury, tous sont des savants, des innovateurs, des créateurs.

     Tends la main droite vers la feuille toute immaculée et en virginité. Saisis-toi de ta plume et fais-toi l'écho de celui qui dit :

"Le calligraphe se sert de sept significations : la calligraphie empreinte de luminosité, bien ciselée, bien cir­conscrite, bien contournée, bien enchevêtrée ; bien fine, bien délimitée, ce sont là les principes de la calligraphie et le fondement de sa typologie." Abou Hayânne Attawhîdî

 

     Tu ne peux que t'insérer dans les règles de la calligraphie et en ses normes et cela en dépit de la fantaisie des lettres en ton imagination et en la perception. Tu ne peux que créer dans l'enceinte de ces règles et de ces normes, et cela par devers tout ce qui se crée de par le temps dans les styles de la calligraphie.

     Ne crois surtout pas qu'en faisant cela tu ne fais que plagier ou imiter ou copier ; bien que tu penses en toi-même, que l'imitation est une forme d'éternité et que le retour originel est une continuité dans l'orthodoxie des ancêtres vénérables, que Dieu ait soin de leur tombe. La fidélité aux archétypes est une forme d'humilité des modernes à l'égard des anciens. Mais je te dis en cela que le respect d'une tradition exige une transgression de l'imitation et une révolte.

     Mais cela est un autre problème. Tout ce qui a été dit, affirme la coupure épistémologique et la fonde. La coupure épistémologique constitue le clivage entre l'évanescence en autrui et la foi en soi, entre l'aliénation et la responsabilité, entre la bâtardise idéologique et la théorisation claire et consciente, entre la démission et la prise historique, entre la culture ressassée et la création.

     La coupure épistémologique nous donne plein droit à la différence, à la contradiction, à la diversité. la coupure epistémologique montre la scission radicale et profonde entre la civilisation judéo-chrétienne et les cultures qui en sont issues et la culture arabo-musulmane à travers ses divers moments.

     La culture épistémologique pose que la connaissance, dans le champ arabo•musulman, constitue une totalité ,sans aucune connotation de supériorité entre ses divers types. En effet, la supériorité représente un concept pratique dans la philosophie positive qui a servi de fondement au marché capitaliste dans l'évaluation du travail. C'est un non-sens que de valoriser la sociologie par rapport à la physique, ou de mettre en relief la physique par rapport à la grammaire générale, ou de préférer l'agronomie ou d'escamoter la sémiologie. La politologie n'est point étrangère, tout comme la psychopathologie par rapport au théâtre ou la peinture par rapport aux arts culinaires. La connaisance coule d'espace en espace sans cloisonnements, afin que tout un chacun puisse y puiser à satiété, selon son besoin et son ambition, selon sa passion et sa liberté. Ainsi, on ne peut lui dire : ne t'immisce pas dans un domai­ne qui t'est étranger, car le monopole n'a point sa place dans la connaissance qui est l'apanage de tout le monde.

     La coupure épistémologique signfie le parti pris de toute science et en démystifie l'objectivité qui n'est qu'un mythe.

     La coupure épistémologique présente l'anti­nomie entre l'esprit et la matière, l'archétype et le réel, la raison et l'expérience. Cette antinomie est illusoire et n'a sa place que dans les représentations de la civilisation judéo-chrétienne.

     La coupure épistémologique établit la rupture du cordon ombilical qui unissait la civilisation judéo-chrétienne à la civilisation arabo-islamique. Partout, s'impose un passage au crible de la pensée philosophique, littéraire, scientifique et artis­tique dans la civilisation judéo-chrétienne, pour qu'une maitrise totale de cette pensée soit possible.Ce passage au crible ne peut exister et ne se fonde que sur des bases théoriques émanant du tréfond de la civilisation arabo-musulmane, aussi bien dans son passé, dans son présent et dans sa projection future. Ces fondements théoriques imposent une connaissance minutieuse, extraor­dinairement minutieuse, des analyses systéma­tiques, des monographies bien délimitées et des positions idéologiques progressistes.

     La coupure épistémologique pose que le domaine artistique est homogène, bien soudé, tout en intéraction, entretenant des rapports dia­lectiques avec le reste des activités de la vie, de la pensée, de la pratique. Pour cela, il n'y a point à l'intérieur du domaine artistique d'hétérogénéité entre la calligraphie, la peinture, la musique, le cinéma, la danse, le théâtre, la sculpture, le dessin, mais en tout cela il y a un devenir perpétuel.

     La coupure épistémologique établit que le domaine de la calligraphie, de la peinture ou du cinéma, ne peut se constituer que sur la base d'une alternative dialectique : d'abord une théorisation émanant de l'intérieur de la civilisation arabo-islamique passée, présente et future ; ensuite, une critique de l'art occidental par le biais de cette théorisation.

     La coupure épistémologique précise que l'art occidental est polarisé par la consommation. C'est pour cela que des concepts, tel le concept de pro­grès, d'évolution ou d'innovation qui sont des concepts opératoires, s'intègrent dans le système de la mode, de la célébrité, de la dégénérescence, de la désagrégation. Il faut donc déraciner ces concepts dans leur acception occidentale mercantile de l'art arabe aujourd'hui.

     La coupure épistémologique insiste sur le fait que la relation à la civilisation judéo-chrétienne présente, passée et future ne peut se faire qu'en marquant la distanciation nécessaire pour la séparer de la civilisation arabo-islamique.

     Tout patrimoine n'est pas nécessairement dépassé, mais il peut être aussi vécu et projeté quand on embrasse telle architecture sunnite malikite, tel plat de cuisine andalouse, tel ustensile de cuivre gravé, telle lettre koufi, magh­rébine, thoulouthite, diwanite, telle forme de conte djahidhite, la nature de notre rapport aux événements quotidiens et vitaux. En tout cela nous avons un patrimoine riche et fécond qui constitue des fondements pour la réflexion, le comportement, l'ambition et l'avenir. Le patrimoine comporte une dynamique théorique toute puissante. Elle continuera à le faire pour les époques futures. Elle est parfois sclérosée pour choir et s'éteindre pendant des siècles. Elle a aussi défié les structures objectives qui lui ont donné naissance pour faire fi du temps en dépit de l'oubli, de la méconnaissance, des distorsions et elle devient par là même, adéquate à notre époque, peut-être même à celles qui viendront par la suite. Cette dynamique a parfois suivi la mort des cadres objectifs qui lui ont servi de support. Elle a aussi servi d'avant-garde pour son époque et continue à l'être pour notre époque. Mais cette dynamique a été réactionnaire, décadente, insignifiante, magique, mythique ; et pour cela, il est nécessaire de la combattre ou de s'en éloigner. L'homme de science tout en craignant le déterminisme s'y soumet, alors que l'artiste s'en moque, il le transcende et s'adonne ci ce qu'il veut. Effectivement, l'artiste entre en réciprocité avec le patrimoine, réciprocité qui peut ètre ora­geuse, car  l'artiste se refuse à tout suivisme. Le patrimoine est mû par une dynamique sans fin, dynamique engendrée par le renouvellement de la vie elle-même. Le patrimoine est un ensemble de formes, de contenus, de structures, de valeurs, d'archétypes ; en un mot, c'est un ensemble de significations essentielles, spécifiques de l'homme arabe présent et futur dans la patrie arabe d'aujourd'hui et de demain.

     Comment vois-tu, celui qui reproduit le style de Djahez ? Peut-il prétendre à la création ? Certes non ! Car le style de Djahiz est apparu dans des conditions objectives et subjectives spé­cifiques. Il a desséché toute sa sève dans les écrits de Djahiz grâce à des tartuffes.

     Que penses-tu de celui qui reproduit les miniatures de Wassiti, sous prétexte qu'il se veut fidèle à l'arabesque, et par là, au patrimoine de la civilisation arabo-islamique ?

     Ce qui vaut pour le style de Djahiz et les miniatures de Wassiti, l'est aussi pour le reste des arts, des connaissances, des points de vue et des courants,

     Que faire alors ? Si nous convenons que le patrimoine constitue une des formes de la voie nouvelle que nous cherchons de toute notre force, et cela à tous les niveaux, nous affirmons, par là même, que cette architecture sunnite-malikite est un signe tout comme ce plat de la cuisine anda­louse, ces ustensiles de cuivre sculpté, cette fonne de conte djahizite, la nature de cette position par rapport aux événements quotidiens et vitaux, ces lettres de la calligraphie koufique, maghrébine, thoulouthite, diwanite. Tous ces signes s'intè­grent dans un système de signifiances dans la civilisation arabo-islamique et cela à travers les siècles jusqu'à nos jours. Le signe s'épanouit dans le vouloir paraître, dans le scintillement, dans le pavoîsement, dans l'éclat ; il s'ankylose dans l'anonymat, dans le flou, et dans l'ambiguïté !

     Le signe s'épanouit aussi dans l'expression, dans le surplus d'être, dans l'objectivité ; il s'ankylose dans la singularité, dans l'individualité et dans l'exception.

     L'artiste se détourne des legs momifiés et pratique le signe pour en faire jaillir des archétypes, en faire jaillir la création.

     Ainsi l'artiste rejette toute imitation et dia­logue avec le patrimoine. Il poursuit le cordon ombilical fin et transparent qui relie tous les maillons du passé et du futur, c'est-à-dire les dimensions du temps dans sa vérité nue.

     Comment cerner cet artiste d'un type nou­veau qui choisit de se détourner de la calligraphie dans sa tradition ancestrale et moderne et de ses canons, et qui se sert du signe calligraphique comme démarche par sa pratique artistique.

     Est-il un calligraphe ? Car il est convenu que le calligraphe travaille sur des lettres et des mots et des phrases et des paragraphes ; et il peut par­fois transgresser tout cela, pour se servir des mots, des lettres, des phrases, notamment de tout ce qui est célèbre, pour représenter des visages, des lunes, des arbres et des formes géométriques.

     Cet artiste ne peut point se prétendre calli­graphe. Il n'est point question pour nous de l'insérer parmi eux. Car il s'astreint aux signes calligraphiques alors qu'il sait pertinemment que son signifiant recouvre la calligraphie dans tous ces types, et que son signifiant constitue l'espace visuel spécifique de la civilisation arabo-islamique. Est-il décorateur ? Car il orne les manuscrits, décore les bâtiments, sculpte le bois, l'ivoire et tous les métaux précieux aux moyen de lettres, de représentation humaine, végétale, ani­male, des formes hindoues.

     Cet artiste n'est pas seulement un décorateur ou un sculpteur. Il ne se limite pas à orner au moyen de métaux précieux ou d'or, mais il unifie tout cela. Il donne à toutes ces pratiques une dimension artistique qui permet à sa personnalité d'épouser ces matières. De là en jaillissent des œuvres artistiques se suffisant à elles-mêmes, n'ayant besoin ni de traditions, ni de fondements.

     Est-il un écrivain ? Ou celui-ci signifie par des lettres, des mots, des phrases, des expressions, des formes, des contenus, des archétypes, des valeurs. Cet artiste n'est point un écrivain car ses travaux ne se lisent pas comme on lit des œuvres, ne se saisissent point comme on saisit l'alphabet.

     Est-il un peintre, dans l'acception occidentale du terme ? Car celui-ci pratique les couleurs et les formes sur une toile ou sur un tout autre support. Certes, oui cet artiste est un peintre, mais d'un autre type. Cet artiste, tout différent, a adjoint aux couleurs et aux formes l'ornement, il adjoint aux couleurs, aux formes, à l'ornement, la calligraphie; il a adjoint aux couleurs, aux formes, à l'ornement, à la calligraphie le cosmos, dans sa dimension artistique.

     Qu'en est-il, alors, de cet artiste?

     Il n'est point nécessaire que l'espace de cet artiste de type nouveau s'insère dans le cadre d'une toile et qu'il s'y endigue et cela en dépit des dimensions de la toile et de la profondeur.

     Tout espace est cosmique notamment l'espace de cet artiste, aussi bien à l'intérieur des maisons qu'à l'extérieur.

     Dans les espaces urbains.

     Dans les articulations des quartiers, des ban­lieues proches ou lointaines.

     Tout espace constitue un champ libre aimantant la vue. Autrement dit : point de limitation ni d'étouffement de la toile.

     Point d'exiguïté des cimaises, ni dévaluation de message folklorique.

     Point de logisme rationaliste, ni de souci plat de la nature ou du réel.

     Point de gratuité des sociétés de consommation et de ce qui en dérive comme conception.

     Tout espace façonné par l'artiste constitue un champ libre aimantant la vue.

     Disons autrement : une symbiose entre les volumes, entre les dimensions, entre les profondeurs.

 

     lnsertion de l'espace dans d'autres espaces.

     Harmonie entre tous les matériaux.

     Une dialectique continue entre tous les arts, les lettres, les sciences et les connaissances.

     L'espace est une apothéose de l'être.

     L'espace est une apothéose cosmique.

     L'élu et le cosmos, deux espaces mystiques prennent leur origine dans l'Alif et ne connaissent point de finitude.

 

     Où vais-je puiser mes formes ?

     De l'infiniment petit à l'infinement grand.

     De la genèse de l'œil, de la genèse de la structure solaire.

     De la structure de l'atonie, de la structure de la cellule.

     De la constitution de la civilisation arabo-islamique.

     Du site de l'Antel tout contourné d'ornement.

     De la structuration du cercle, de la danse et des chants liturgiques.

     Des normes des lignes et  de  leurs constituants.

     De la lettre fugace et de ce qui en sort.

     Des formes de la nature et de leurs styles.

     Des arts minutieux.

     D'absolument tout, car mes formes sont abstraites, non l'abstraction occidentale qui ne se relit à l'être que par le biais de l'entendant mais l'abstraction atchétypale qui entre en intéraction avec le réel et l'épouse. La transcendance ne passe pas forcément par le verbe, ni le verbe par la trans­cendance. N'eut été la transcendance il n'yaurait point de lettre et n'eut été la lettre, la parole, le discours, le texte, il n'y aurait point de transcendance. Ils ne font qu'Un. Il ne peut en être autrement. Le pouvoir qu'il soit politique, reli­gieux, mystique, économique, social ou linguistique, est un foyer de coercission, de décision de ASSABIA, de toute puissance, de majesté ; il dres­se les normes, établit des contrariétés, organise les auto-défenses. Du pouvoir procède innovatîon, création, invention.

     En un mot le pouvoir est Logos.

     Il ne peut être autrement : la lettre est origine, fondement, pilier, mystère, praxis, pensée, signe, communication.

     Par la lettre la transcendance passe de la puissance à l'acte. Le pouvoir médiatise la lettre qui en garde les secrets ; ces secrets sont des sites.

     La lettre s'apothéose en pensée dans la trans­cendance. La lettre médiatise la transcendance pour les hommes.

     La lettre est un signe apparent de la transcendance, c'est pour cela qu'elle coexiste avec la transcendance en un tout indivisible.

     La lettre signifie la transcendance qui est par ailleurs une présence dialectique : la transcendance est originelle ; la lettre en procède.

 

     La lettre est contingence

     La transcendance est par essence.

     La transcendance est inimitabilité.

     La lettre est tension vers cette inimitabilité.

     La lettre est cercle mystique.

     La lettre est culturelle

     La transcendance englobe ce cercle et cette aire

     La transcendance est vie

     La lettre essaye d'épouser la vie

     La lettre est subalterne

     La transcendance est essentielle

     Et l'essence n'est que subalterne.

     Le subaterne n'a de sens que apar rapport à l'être suprême. 

     L'être suprême ordonne et endigue 

     La lettre obéit et éxécute 

     Les deux se cherchent 

     La transcendance subjugue la lettre, mais en est par ailleurs subjuguée : un contrat les lie. 

     Mais elles sont aussi contradictoires. 

     La transcendance est par essence répression

     La lettre combat la répression

     La lettre est liberté

     La transcendance est iniquité

     La transcendance est norme

     La lettre est violation de toute norme

     La transcendance est imitation

     La lettre est création, innovation, invention, bref c'est un jaillissement qui n'a point de pareil.

 
 Ezzeddine Madani

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