1996 - Partage de Nja Mahdaoui

Nous nous apprêtons à "rentrer" dans la peinture de Nja Mahdaoui. Nous sommes encore là, sur le seuil de lumière, quand nous découvrons que cette peinture nous habite déjà. L'événement est si rare. Que s'est il passé?

     D'habitude, lorsque nous regardons des toiles, nous sommes un peu inquiets. Nous avons peur de ne pouvoir soulever que des voiles transparents, de ne voir que les détails que "le maitre des énigmes" se plaît à multiplier pour nous dérouter. Nous restons alors aux aguets dans l'espoir du moment où la toile se mettra à nous "parler". Et quand cela se produit, nous avons un étrange sentiment, celui d'avoir triomphé de la bêtise.

 

     Il en va autrement de la peinture de Mahdaoui. Pour moi, son énigme première tient à l'émerveillement instantané qu'elle nous procure. C'est qu'elle libère immédiatement les yeux et les fait voyager au rythme entrainant de la main qui l'a connue. Une main savante, immensément rêveuse qui semble nous guider tant elle est présente, même quand elle s'est retirée de la toile.

 

     Aussi, un tableau de Mahdaoui est-il toujours vibrant. Sa lumière se propage en musique. Ses couleurs sont en constante effervescence. Ses formes si maîtrisées, définitives en apparence sont emportées par un mouvement perpétuel de genèse. Tout l'art de Mahdaoui est là. L'œuvre de création n'est pas un moment d'arrêt dans le mouvement de la vie et du monde. C'est le moment d'un regain sensible de ce mouvement. L'artiste prête sa main, ses yeux, son souffle, sa mémoire à cette rencontre de la chair et de l'esprit, de l'éphémère et de l'éternel. Dressé de toute sa taille d'arbre humain, il relie la terre au ciel, l'eau aux étoiles. Drapé de sa glorieuse nudi­té, il nous convie à son aventure et à la nôtre, l'air de dire : une toile, ça se partage.