Conférence présentée le 27 Novembre 1996, dans le cadre de Asia Art Forum - Asian Lettering & Calligraphy: the Past, Present and Future, présidé par le professeur Shūichi Katō et organisé par la JAL Foundation à Tokyo.
Calligraphies. Hommage à Nja Mahdaoui, Horizons Maghrébins & Cahier d'Études Maghrébines (Toulouse & Cologne, 1998), pp. 231-32.
La raison pour laquelle j'utilise des fragments de lettres ou des symboles dans mon œuvre, vient du fait que d'instinct, je rejette la transfiguration de la valeur de ces caractères.
Dans la calligraphie, les lettres écrites deviennent un symbole jusqu'à ce qu'elles véhiculent une signification, mais quand la lettre perd ses contours, le lecteur est obligé d'avoir recours à son imaginaire pour décoder et comprendre la signification du mot.
Ce travail, dans le contexte de la représentation et de la mise en situation, est fait de telle manière qu'il ignore l'effet esthétique de l'oeuvre d'art. Des réactions inconscientes et des répulsions instinctives sont causes de cet effet. Voilà le cheminement essentiel du lien entre la chose visible, concrète, absolue, comprise depuis des temps immémoriaux. Au contraire, la lettre calligraphique est un son vocal explicite qui a perdu son aptitude de transmettre une mise en situation humaine avec des sentiments intérieurs ; elle dessine de façon explicite une image totalement subjective, avec un contenu concret, sans tenir compte du sujet abstrait. Je déstructure la base même de la calligraphie, en jetant un regard sur le style et la composition d'une calligraphie.
Ma philosophie est de sortir librement de la structure graphique des lettres arabes ou de la syntaxe du verbe et de la structure du style. La raison en est que pour moi, le but final est une oeuvre d'art, qui se sert des matériaux qui sont des symboles chargés de sens. J'essaie d'extraire le pouvoir original de la signification de ces matériaux pour parvenir à créer une esthétique de la forme. En travaillant uniquement sur la forme, indépendamment de sa signification, je peux en toute liberté présenter des combinaisons que j'aime. Je souhaite que le lecteur ne s'accroche pas visuellement au contenu, mais qu'il louvoie à travers une prose en gestation.
Il y a dans mon art l'amour des autres. Ainsi, si quelqu'un quelque part dans le monde essaie de limiter la création, je vais profondément souffrir, en particulier si on interdit le chemin de la création à une personne véritablement honnête envers elle-même. Je ressentirais par exemple une peine profonde, si un poète essaie d'exprimer quelque chose qui sort de son coeur et que quelqu'un le lui interdise. Ainsi, peu importe les raisons des conflits qui opposent les peuples, qu'elles soient d'ordre commercial, spirituel ou culturel ! Chercher des lettres qui aient comme raison la communication ou le développement de la connaissance, ne peut pas aider, mais continue à faire progresser tous les sentiments. On peut aisément le remarquer dans n'importe quelle histoire d'une nation.
Quel que soit le niveau spirituel, moral, matériel et culturel d'une nation, ce qui permet l'actuelle indépendance de l'esprit par-delà les transformations historiques, est l'attitude stricte et légitime du créateur. Cette condition est l'essence même de la profondeur de la science et de la philosophie. Cela s'explique par le fait que la mémoire de l'homme fonctionne seulement à travers les lettres qui sont porteuses d'un sens qu'il reconnaît dans le processus complexe de son individualité et de son intelligence. Les lettres sont des signes en soi, comme le dialogue de la science et son cheminement ; elles ouvrent et tout à la fois unissent les cultures.
Notre société change constamment, et dans le but d'exprimer ces transformations, de leur donner un sens perceptible, il faut de solides supports de mots capables de transformer notre image et notre esprit. Les mots peuvent être par exemple des logos ou des logogrammes, car ils contiennent la possibilité de faire éclore des sentiments standardisés à travers le monde par des symboles, par des représentations et par les médias, habituellement porteurs de communication.
La société humaine a aujourd'hui le but d'influencer librement les peuples à travers des continents, et ce pouvoir a la capacité de créer des activités qui traversent les pays et les cultures en les influençant. La télévision en est un bel exemple ainsi que d'autres moyens d'information comme Internet, CD-Rom, etc. Je pense à toutes ces nouvelles réalisations qui recueillent pour les proposer des signes, des symboles, une communication par l'image, l'interprétation simultanée, la réalité visuelle, etc...
Nja Mahdaoui