Métasignes, complémentarités & différences

1991 - La Marsa
Conférence présentée en 1993, à l'Université de Rennes II, dans le cadre du colloque 'Métissage du texte : Bretagne, Maghreb, Québec'.

Métissage du texte: Bretagne, Maghreb, Québec, sous la direction de Bernard Hue (Rennes: PUR Presses universitaires de Rennes, 1993) pp. 299–305.

 
 
« La nature raisonnable, c'est l'âme douée de la raison, la raison, c'est l'oeil de l'âme ;  le raisonnement, c'est la direction de cet oeil vers les choses qui doivent être vues ». 
Saint-Augustin
 
 
 
 
PREMIÈRE EXPÉRIENCE
Création commune avec Jacques Hudon, artiste-peintre canadien et francophone 
CONSTAT 

 

        C'est en 1987, lors du Sommet de la Francophonie du Québec, placé sour le signe : ÉSPACE FRANCOPHONE INTERNATIONAL, que le Symposium des Arts de la Jeune Peinture de Baie-Saint-Paul, fut le lieu concentrique de communication et de création, entre artistes plasticiens venus de divers horizons.
C'est effectivement, pendant ce séjour de travail et d'échanges interculturels, que naquit l'idée des croisements différenciés, vers l'éclosion d'une esthétique nouvelle, entre le peintre Québéquois Jacques HUDON et moi-même, venant de Tunisie.
       Et depuis...
       Trois années d'investigation et d'efforts transitifs ont suivi cet événement. Années lors desquelles, nous avions décidé de nous déplacer, hors des espaces habituels de nos continents, pour concevoir et élaborer en commun des séquences d'ouvrages et tenter d'y transcrire nos concepts culturels spécifiques.
       Ensuite, après l'élimination de plusieurs esquisses, dont nous avions sélectionné treize planches, on a gravé en multiples diagrammes, utilisant la technique de la sérigraphie à cause de ses possibilités plastiques, allant des montages les plus fragmentés au palimpseste.
       Notre souci majeur, fut alors indéniablement axé, sur l'effet positif de l'interpénétration de nos deux visions, qu'il fallait plastiquement intersecter, en assemblant méthodiquement nos apports individuels. Cet enchevêtrement structural de nos démarches parallèles et la symbiose des signes utilisés contribuèrent certainement à la transgression des limites inextricables du Concept ART au sens Académique.
 

       Ces gravures achevées, se présentèrent pour nous comme l'alliance et la dynamique d'une nouvelle dialectique culturelle, dont la véritable synergie déterminera la graduation profonde de nos sensations et la permutation de nos idéaux. Car l'hybridation provoquée par cette approche commune, au sein de ce nouvel espace de communication a atténué et même relativisé les contours esthétiques de cette oeuvre BI-FACIALE, dont toute lecture plastique future interpellera obligatoirement l'ordre mnémonique de plusieurs référents.
       Néanmoins, dans le fait d'agir individuellement et plus précisément, pour ce qui est de ma réaction personnelle, dans mon rapport conflictuel avec chaque oeuvre à parachever et qui était par ailleurs structurée en partie par mon co-auteur Jacques Hudon, elle se limita à ma volonté d'être, c'est-à-dire à la quête de tout espace dégagé par la sensation du vide, INTENTIONNELLEMENT RÉPARTI. Vide en attente de nouvelles inscriptions de part et d'autre. Le constat étant : que ce néant théoriquement admis et assumé par chacun de nous, s'imposa alors comme un DÉFI.
       C'est ainsi que, durant toute la période d'observance des esquisses semi-élaborées et bien avant d'entamer toute gestualité d'apport rationnel, de concordance et de voisinage polyvalent, j'avais orienté ma recherche sur la ligne médiane, qu'il fallait articuler graduellement, en fixant chaque fragment tactile des séquences au sein du registre possédé.
       Donc, bien qu'il s'agisse d'une oeuvre d'art réalisée en commun, c'est sûrement l'accointance : / PENSÉE-PAROLE /, qui nous a permis de prolonger l'archétype des métasignes visuels et qui activa par involution intellectuelle l'équilibre entre la peinture et les calligrammes en une même chorégraphie.
       Toutefois, ces éléments du figural et de la graphie libre, ainsi imagés et projetés en assemblage de substitution, empruntèrent arbitrairement (en premier lieu) : les tracés de la relativité interférente et subjective, des analogies conventionnelles et des substrats de dépassement, avant de dresser (ensuite) la jonction interstitielle de l'ouvrage unique en tant qu'oeuvre foncièrement croisée.
 
 
SECONDE EXPÉRIENCE
Création commune avec Wolfgang Heuwinkel, artiste-peintre allemand
 
 
ALTERNATIVE INTERMÉDIAIRE DES ÉLANS COLLECTIFS

TOPOGRAPHIE 'UTOPIQUE' DE L'OEUVRE EN DEVENIR
 
       C'est ainsi qu'au terme de l'expérience commune, menée conjointement avec un artiste plasticien (co-auteur), je m'interroge objectivement sur les renvois mutuels de cette pratique dite de la TRANSPOSITION, et plus précisément sur la complexité d'affirmer l'action individuelle dans la diversité.
       Ma première question s'articulera donc, sur ce qu'on appelle: une CREATION POSITIVE, c'est-à-dire ce qui est réalisé dans un espace où l'homme est sensé AGIR en toute conscience, des limites interférentes entre sa volonté d'être et la mémoire collective.
       J'indiquerai en premier lieu, la relation psycho-sensorielle INDIVIDU-OEUVRE, qui prend sa source dans l'axiome de l'irrationnel, à chaque projection individuelle, qui risque de devancer la pensée réflexive du mouvement. Toutefois, s'agissant d'une acception pulsionnelle, ce mouvement libre se précise hors des antagonismes, de rapports référentiels et inscrit sa trace expressive.
       Car, lorsqu'il s'agit de lire une oeuvre conçue délibérément par un artiste qui s'assume sans ambiguité, nous constatons dans la plupart des cas : que ce sont les schèmes plastiques (pigments en concrétion et signes), qui se présentent, se signifient et se substituent à l'incohérence dialectique et aux diachronies narratives d'écoles.
       Par ailleurs, lorsque nous décidons de réaliser une oeuvre d'art en opposition aux systèmes académiques, nous risquons d'opérer consciemment dans l'informel avant de nous installer dans les zones de l'absolu. Ces uniques parcelles où le fait objectif de l'être et sa nature cosmique peuvent subir la transcendance logique. C'est aussi par le biais de l'irrationnel et par le démembrement de l'image extérieure, que l'artiste créateur AGIT, selon ses propres mécanismes psychiques de l'instant émis par ses flexions.
       Donc, s'agissant d'un choix esthétique précis, l'oeuvre d'art ainsi conçue, s'objectivise vers un idéal irréversible. Elle s'auto-active et adopte une nouvelle structure d'existence, avant de se chosifier selon les exigences intégratives, muséologiques et autres, surtout en Occident et maintenant dans nos Sociétés en profonde mutation.
 
 
LA RÉALITÉ OBJECTIVE ET L'APPRÉHENSION DE L'ÊTRE
(CONSTAT)
 
       Quelles sont alors les motivations culturelles qui incitent l'artiste créateur à vouloir transmuer sa pensée et son appréhension de l'UNIVERS, à l'aide de gestes graphiques, dont le fond et les contours inscrits, renvoient à la dialectique supposée du PRÉCONSCIENT et des exigences occultes ?
       L'acte créateur (individuel) en ART, relève-t-il du substrat de la parole articulée ou d'une simple interrogation de l'esprit ?
       Est-ce le dédit irréductible de l'instant existentiel vécu en sensations par l'homme ou la permanente modification du monde sensible ?
       C'est à partir de cet engrènement autour de l'explicitation du discours fondamental autour du Concept ART et de sa transcendance sémantique que je situe ma question.
       En première instance, il m'avait paru ardu de dissocier la séquence cyclique des plans-actes instinctifs de la parole logique prononcée par rapport à l'ACTION. Car si la parole explicite déclenche le geste, et que, celui-ci à son tour lie le mental aux unités temporelles de synthèses pour exprimer à l'aide des syntaxes conventionnelles un langage intelligible, les mots véhiculés par le discours suggestif engagent, alors, la mémoire vers les dédales réflexifs, tout en incitant la conscience sensitive à s'alterner avec le corps-agissant, en direction du canal de prolongement : VERBE, SENS, SONS, avant de proposer à l'audition indiquée : les signes formels de communication (phonèmes de distanciation : DEHORS-DEDANS, PULSION-REJET, IDENTIFICATION).
       Ainsi, en avançant l'hypothèse, que (chez certaines civilisations) c'est le geste de l'homme qui prolonge par sa graphie, la parole pensée et que cette mimique du non dit, énonce l'état d'âme indépendant de la mémoire au niveau du contenu, ces gestes exprimeraient donc, des morphèmes complémentaires qui dévoilent l'être et non l'acte. Car l'acte réel va au delà et en deçà des contraintes extérieures à la raison. A ce stade, nous serons en droit de nous demander, si la raison était apte à placer l'homme dans sa propre évidence, au sein de la condensation du groupe, en tant que : / RÉFÉRENT-ALTERNATEUR ESSENTIEL ? /.
       J'estime aussi, que la vivacité de la mémoire LIBÉRÉE, peut exclure à l'aide de gestes spontanés, toute corrélation avec les formes organiques, dérivées et pré-structurées du savoir.
       Toutefois, l'articulation spécifique des mouvements séquentiels, chez l'artiste plasticien, (lors de la gestation de son oeuvre) enregistre à chaque geste une empreinte nouvelle, qui se signifie et qui définit par son ordre analytique les sensations perceptives.
       C'est effectivement à partir de cette nouvelle analyse, qu'il me semblerait opportun, d'indiquer en toute objectivité, que toute création artistique ne devrait représenter que sa propre morphologie au sein de l'espace choisi par le créateur auteur, qui aurait tendance dans la plupart des cas à projeter le sens second de l'événement majeur, comme élément signifiant, issu des gestes réflexes, car ces mêmes gestes (lorsqu'ils veulent exprimer l'élan spontané), donnent naissance à la symbiose : CORPS et INTELLECT.
       Nous constaterons alors, comment à l'intérieur de ce processus, le mouvement de l'artiste authentique, devient le principal instrument de correspondance et d'exactitude entre le vécu mémorisé et la volonté de projection dans le futur, dès l'instant où il appréhende l'univers, muni de ses propres sens, afin de faire face et front aux exigences du témoignage historique.
 
L'OEUVRE CARACTÉRIELLE

 

       Quant à l'artiste à l'esprit ostentateur, qui oeuvre en hostilité vis-à-vis de la pensée immanente, vers la création authentique, il a tendance à présenter un travail chargé de témoignages évocatoires, dont l'énoncé plastique décrit l'approximation de son imaginaire et du désir élémentaire de reproduire avant d'inviter à reconnaître les objets choisis et dessinés par souci sécurisant.
       C'est ainsi que, dès la première lecture de ce genre de création anecdotique, nous distinguerons l'émergence des symboles de transfert des icones ambivalents, qui se présentent comme un inventaire événementiel et surtout comme prédicats d'illusion en permanente contradiction.
       Cette peinture chosifiée et démunie de toute notion esthétique et culturelle pourrait jouer implicitement le rôle mimétique de l'oeuvre authentique. Elle demeurera plastiquement inexistante par le fait qu'elle aspire à adapter le figural d'une pensée mythique ou ethno-mythologique, avec l'utopie de servir les aléas les plus exaltants du DISCOURS-POÈME, de l'imaginaire collectif d'une société donnée.
       Dans ce cas précis, l'artiste qui se complait à exécuter des gestes itératifs en toute quiétude, forgera inconsciemment sa propre AURA de l'illusion comme palliatif. Cette situation aléatoire lui bloquera son propre propos et lui annule toute spontanéité susceptible d'évolution créatrice.
       À ce stade, l'apparente falsification généralement avancée nous démontre, comment les signes d'épuisement deviennent ÉVIDENTS et comment la redondance mène au fourvoiement et à l'ARRÊT.
 

TRANSPARENCE DE L'INTELLIGIBLE EN ART

 

       En supposant l'hypothèse selon laquelle :
       Tout travail de création artistique est sensé représenter les spécificités de l'histoire immédiate par les artistes.
       Et si nous convenions que les paramètres : PENSÉE, PAROLE, VISION, ACTION, sont les signes majeurs qui définissent notre présence coercitive au centre de l'énergie rayonnante.
       Et que nous soyons convaincus, que cette énergie spécifique constitue à elle seule, l'élément essentiel de toute réflexibilité logique vers l'onction des véritables sens créateurs de l'homme !
       Il serait urgent alors, de repenser notre ATTITUDE, face à la problématique de l'apparaître en esthétique, afin d'analyser les aléas de substitution de l'oeuvre authentique et de sa véritable réverbération sur la mémoire collective.
       Il faudrait que nous apprenions à décrypter l'ART, tous les ARTS de la mémoire humaine, par delà les frontières et en déceler les fragments interférents. Car il ne s'agira plus d'une sémiologie de rapports de savoir antérieur ou autre, mais d'une conscientisation générale, afin de sculpter ensemble un véritable langage universel.
       Une proposition hors des passions, qui pourrait devenir la courroie de transmission de nos consciences - pour vivre libres et CRÉER.
       Inventons ensemble le défi immuable d'assumer nos différences.
       Scellons nos complémentarités spirituelles dans l'axe de l'alternance.
       C'est la, une urgence vitale, pour que l'art assumé en parfaite communion, redevienne alors : ESPACE DE RENCONTRE, rencontre syncrétique des ilots de vie.
       Exigeons l'ouverture vers les horizons lointains et vers les perspectives des croisements, des ententes, et surtout des complémentarités.
       Gestes et langages, élans vers le possible, vers la culture et vers l'ART, discours réels du présent et de l'infini, partout où l'homme créateur contribue à façonner le cours de l'histoire, pour faire éclater les arcanes du rêve et rendre à l'imaginaire son rôle de liberté.
Rencontres, confrontations, émulation et savoir.
L'art de demain est porteur d'espoir.
L'art de demain attend son ressourcement dans et par le dialogue.
Comment repartir du spécifique et reconsidérer les traces de nos témoignages ?
Comment T I S S E R ensemble sur la même trame ?
 
Nja Mahdaoui
Mars 1991
of 12